Traces, information et construits de sens

 

 

Sylvie Leleu-Merviel

 

Univ Lille Nord de France, F-59000 Lille, France

UVHC, DeVisu, F-59313 Valenciennes, France

sylvie.merviel@univ-valenciennes.fr

 

 

Dans sa conférence au meeting TedX de Maastricht le 6 avril 2011[1], le philosophe de l’information Luciano Floridi parcourt les 4 révolutions de la connaissance qui ont changé notre rapport au monde : nous pensions être au centre de l’univers jusqu’à ce que la révolution copernicienne nous en déloge ; nous nous pensions l’être biologique supérieur par essence jusqu’à ce que la révolution darwinienne nous informe que toutes les espèces vivantes ont évolué au cours du temps à partir de souches communes via la sélection naturelle ; nous pensions être les seuls animaux rationnels, parfaitement maîtres de nous-mêmes, jusqu’à ce que la révolution freudienne mette en lumière la part impulsive et inconsciente de nos pensées et de nos actes.

 

La quatrième révolution, celle de Turing, fait de nous des inforgs (informational organisms), dans un environnement global entièrement constitué d’information. Mais l’information n’est pas notre création, assimilable à cet artefact humain que nous avons inventé et que nos machines nous aident à maîtriser parfaitement. La vision virtualiste de l’information, vue comme une entité purement abstraite, immatérielle et résidant dans les nuages, a perdu toute crédibilité. En effet, nous redécouvrons chaque jour davantage que l’information est trace de quelque chose ou de quelqu’un, et qu’elle a tout à voir avec la physicalité de l’empreinte. L’être humain prend désormais conscience qu’il laisse, volontairement ou involontairement, des morceaux de lui-même partout sur son passage : empreintes moléculaires d’un parfum saisi au vol, trace d’une rencontre éphémère et volatile ; empreintes physiques de ces mains ou de ces pieds de stars gravées dans le béton d’Hollywood Boulevard ; empreintes géniques grâce auxquelles un seul de nos cheveux peut nous conduire en prison, si c’est sur une scène de crime que nous l’avons laissé ; traces de vie que construisent nos récits, lisibles par tous via le Web…

 

Yves Jeanneret (2011)[2] invite à déplier la notion de trace en trois catégories conceptuelles : indice de ses conditions de production, attestant d’un événement ou d’un processus potentiellement reconstructible ; inscription dans un mode d’existence physique qui adjoint à sa matérialité observable une opérativité symbolique, apte à créer du sens à travers le tissage de liens adéquats ; tracé, configuration formelle plaçant l’empreinte dans un dispositif qui la transforme en un énoncé, scriptible et lisible.

 

Ces trois catégories seront parcourues sous l’angle privilégié des construits de sens qu’elles engendrent.

 



[1] Voir <http://www.youtube.com/watch?v=c-kJsyU8tgI&amp;feature=youtu.be>

[2] Jeanneret, Y. (2011). « Introduction ». In Traces d’usage dans un corpus de sites de tourisme, Davallon, J. (dir), Hermès Science Publication, p.21